
Bénédicte se glisse furtivement dans le train, silhouette pressée qui s’assoit vis-à-vis de moi. Elle pleure, adossée à une vitre graisseuse devant un mur gris ciment. Bénédicte pleure des larmes de sel par saccades, sans bruit, accompagnées d’un léger vrillement de la lèvre inférieure.
Je ne peux m’empêcher de remarquer à quel point nous sommes conditionnés. Depuis que j’ai commencé à écrire ces portraits quotidiens, j’ai vu quatre femmes – toutes assez jeunes – pleurer dans des espaces publics. D’hommes, pas un seul.
Apercevoir Bénédicte me ramène à mes propres larmes versées dans un train lancé à grande vitesse, à l’heure de mon premier chagrin amoureux. Une chute vertigineuse. Je me sentais tranchée, vide, inconsolable. Je revois le contrôleur médusé, si penaud avec son mouchoir, cherchant à savoir comment il pouvait aider.
Je repense aux larmes qui ont suivi et à la hauteur qui, depuis, s’est instaurée. Il me semble qu’il y a dans ces larmes une tourmente contemplative. Comme si ces instants passés à sangloter nous donnaient l’impression d’exister, de traverser la vie avec éclat et férocité. J’étais devenue trop poreuse à l’autre et imperméable à moi-même. Alors ces larmes, ce vide, cette douleur, c’était beau comme un tableau. Cela peuplait mon horizon.
Le jour où l’on se retrouve, c’est comme un sort déjoué, une redécouverte des mille et une façons d’exister.
Bon jour,
Bel article. Les larmes, c’est peut-être « d’éponger un deuil » présent et de pouvoir passer à autre chose.
Nous sommes tous conditionnés, il est vrai, mais deux millénaires d’éducation judo-chrétienne n’arrange pas. 🙂 De fait, dépasser les « référentiels » se fait au fil du temps pour redevenir avant tout des Humains.
Max-Louis
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