
Chiara a débarqué comme un courant d’air dans l’auberge de jeunesse. Elle a fait circuler le vent froid de l’hiver kyotoïte aux pieds des chaises de l’entrée, jusqu’au comptoir du réceptionniste. Elle s’est avancée avec ses épaisses chaussures de marche sans lacet, et elle a demandé d’une voix pressée la clé de sa chambre et le chemin jusqu’à sa prochaine destination, un spectacle de kabuki.
Chiara est italienne, sarde plus précisément. Elle dit que ce n’est pas pareil. D’ailleurs, elle connaît l’Asie, l’Europe, et l’Amérique latine, l’Italie presque pas. Elle n’est allée ni à Florence, ni à Venise. Chiara vit en France par intermittences depuis 10 ans. Une partie de sa famille y habite, sa grand-mère maternelle et plusieurs oncles et tantes. Ses parents vivent en Sardaigne, enfin plutôt son père. Sa mère vit en banlieue parisienne plusieurs mois par an pour s’occuper de la grand-mère de Chiara. Ses frères et soeurs qui vivent ici disent qu’ils n’ont pas le temps.
Chiara a étudié les langues étrangères mais elle ne voulait pas enseigner, alors elle s’est trouvé un petit boulot dans le tourisme, gérer les flux de personnes dans un grand pôle d’attraction de la capitale. Ce n’est pas toujours passionnant mais elle passe ses journées à l’extérieur et elle parle aux gens. En France, elle a surtout aimé ses années d’étudiantes. Elle vivait chez sa grand-mère, plaçait les gens le soir au Châtelet puis écoutait les concerts. Elle bossait tout le temps mais elle aimait se sentir au cœur de la frénésie parisienne.
Maintenant, Chiara vit dans un appartement avec Tomaso dans une « banlieue pour vieux ». Les soirs et les week-ends, on s’y emmerde ferme mais on ne risque pas de se faire emmerder. Thomas est sarde, il est venu pour elle. Il peine dans l’apprentissage du français mais ça ne l’empêche pas de faire son boulot d’électricien, les clients remarquent ses efforts d’un air attendri. Les week-ends, ils vont faire du kayak sur la Marne, c’est Chiara qui les a inscrits.