
Madame Yenara vit à Miyajima. Elle habite une maison en bois, de plein pied, au bout de la fine langue de sable qui s’enfonce dans la mer. Trente mètres à l’ouest, le torii vermillon du sanctuaire d’Itsukushima est noyé dans la nuit.
Madame Yenara porte une robe ample couleur saumon, ses lèvres fines sont soulignées de rouge et ses paupières recouvertes d’une poudre d’or transparente. Elle porte ses cheveux gris et courts, ça lui donne des airs de phare inébranlable, ancré forcément, même dans la tempête. De son père, elle a hérité sa maison. Madame Yenara est née ici. Cinq ans après la bombe lâchée sur Hiroshima. A quelques kilomètres, son père a planté des pins le long de la lagune. Les arbres ont poussé, ils sont devenus grands et robustes, la vie a repris ses droits.
Les parents de Madame Yenara sont morts il y a longtemps. Avec Monsieur Yenara ils ont eu deux enfants. Ils se sont rencontrés à Hiroshima, lui venait de la banlieue de Tokyo pour travailler dans une usine de conditionnement de poissons. Elle travaillait dans un bureau. Madame Yenara dit qu’elle aime cet endroit, qu’elle ne partira pas. Leur fille a 35 ans. Elle vit à Tokyo avec son mari, un américain qu’elle a rencontré quand elle vivait dans l’Ohio. Leur fils à 24 ans, il vit encore avec eux. Madame Yenara espère qu’il restera et qu’il reprendra le petit restaurant dans la maison. Miyajima se vide de ses habitants, il n’en reste que 1700. Les jeunes quittent l’horizon marin trop large pour l’urbanisme géométrique des grandes villes japonaises. Il ne reste que les aînés.
Monsieur Yenara sourit en l’écoutant parler dans un anglais bancal mais assuré. Il dit qu’elle parle trop. Il le dit avec une grande douceur. Monsieur et Madame Yenara ont ouvert leur restaurant rien que pour moi, parce que j’étais venue jusque là et qu’il faisait froid. Ils m’ont installée au coin du feu et ils m’ont servi du riz blanc avec des sardines fraîches et un thé brûlant. Dehors, la première neige de l’année tombait.
Très beau portrait.
J’aimeAimé par 1 personne