Je pense souvent à Amandine en ce moment, à sa solitude qui darde derrière la lumière tamisée de la salle du bar. Ce soir en passant, j’ai vu Luis assis au comptoir. C’est un habitué du quartier lui aussi. Il navigue de bar en bar, Luis est un client du soir. Il sort de son appartement et descend les quatre étages toujours à pieds, ça l’aide à oublier l’embonpoint grandissant qui pousse juste sous son nez. Il longe les grilles du parc, il aime respirer l’air saturé d’oxygène des arbres derrière la grille.

Ce soir, Luis a le nez en l’air. Il regarde la lune depuis lundi quand il a appris qu’elle apparaîtrait plus grosse que d’habitude. C’était comme une bouée dans la marée des souvenirs, la pensée qu’après les souffrances et la violence sacrifiée, il peut naître quelque chose de poétique un 14 novembre. Luis a marché un peu plus que d’habitude et il s’est arrêté dans le bar d’Amandine Laporte. Il a commandé une pinte de bière, puis une deuxième. C’est son rituel pour trouver le sommeil les soirs d’ennui.

Amandine a regardé cet homme seul, à cette heure là. Un de plus, ils se ressemblent souvent. C’est comme un carrefour des solitudes. Luis dit qu’il a des enfants, deux jeunes adultes qu’il ne voit pas. Amandine n’a pas eu d’enfants. Mais a-t-elle bien eu le choix? Elle se demande qu’elle est la plus grande solitude, celle du parent déserté ou bien la sienne? Luis lui a dit pour la lune, Amandine lui a parlé du français qui est parti cet après-midi dans sa fusée. Comment la voit-il la lune ce Thomas Pesquet? Elle aimerait bien ça s’envoyer en l’air, revoir les perspectives à la lueur de la lune et du ciel étoilé.

Il devait se sentir un peu seul lui aussi, harnaché dans sa fusée comme un chameau à l’heure de la grande traversée. C’est ça, un chameau face à l’immensité nue.