
Mélissa va avoir quarante ans. Elle dit souvent qu’elle voudrait vivre jusqu’à 261 ans pour connaitre tout ce qu’elle a à vivre, parce que la vie est parfois âpre comme une prune trop jeune et qu’à son rythme, profiter lui prend trop de temps.
Mélissa a perdu sa mère peu après ses trente ans. Puis, son grand-père maternel est tombé malade. Il avait besoin d’assistance à domicile, alors Mélissa a pris ses affaires, loué sa petite maison de bord de mer, et elle est venue. C’était il y a cinq ans. Depuis, son grand-père est mort et Mélissa est restée pour s’occuper de sa grand-mère. Elle s’occupe des gens des environs – troisième âge isolé et délaissé en rase campagne.
Mélissa est devenue aide à la personne pour individus âgés, dépendants ou malades, parfois les trois à la fois. Elle dit que sa grand-mère, c’est tout ce qui lui reste. Et puis ils étaient fâchés jusqu’à ce qu’elle revienne. Mélissa doit se faire pardonner.
Mélissa a été abusée sexuellement par son père de ses six ans à ses douze ans. Ça l’a flinguée de l’intérieur. Un jour, elle est devenue suffisamment grande pour partir, elle a été aidée par son médecin de quartier. Elle avait dix-sept ans et elle partait en internat. Son père a pris peur de cette liberté, il lui a foutu un flingue sur la tempe droite en la menaçant de la faire sauter si elle parlait. Mélissa s’est fait faire un petit piercing à l’endroit exact où il a posé le pistolet. Pour ne pas oublier.
Il y a eu un procès, du moins une tentative. Son père a développé une maladie avant que la procédure ne commence vraiment. Il ne sera plus jugé.
La grand-mère de Mélissa dit qu’elle a une réputation dans ce village où elle est née et où elle a passé toute sa vie. Les qu’en-dira-t-on, la bien-pensance, le vernis social nauséabond, c’est ça que Mélissa doit se faire pardonner.