
Mireille et Michel déjeunent en tête à tête dans un restaurant de bord de mer. Devant leurs yeux, un large plateau de fruits de mer : crabes à demi coupés, huîtres, bulots, bigorneaux, crevettes roses de pleine mer et autres gastéropodes marins.
Michel est petit avec des frisotis châtains, la cinquantaine déclinante. Mireille est confortablement installée sur la banquette grise, appuyée à la baie vitrée avec vue sur le large, sa vaste poitrine lovée dans un t-shirt estampillé du nom de la ville lumière, « New York ». Ils se délectent à leur rythme, délaissant les petits escargots noirs, ponctuant leurs bouchées de gorgées à intervalles réguliers, un Bourgogne frais à point, heureux d’être de retour dans ce restaurant qui ne les déçoit pas.
Michel laisse traîner ses oreilles en dilettante à la table d’à côté, il observe du coin de l’oeil cette femme un peu plus âgée au regard égaré, qui mange sans discontinuer comme si le simple fait d’être à table commandait une mastication ininterrompue, un gavage en bonne et due forme à se rendre malade. Des tréfonds de sa mémoire, elle ressort pourtant des trésors balayés par le temps – le nom de son instructeur de vol il y a presque quarante ans – puis elle reprend le fil de sa vie immédiate et pose pour la troisième fois en dix minutes la même question : « Alors, on est chez toi ici? »