
Chloé est passée sans crier gare dans la moiteur du soir, voix aiguë adolescente échappée de l’inconfort d’un corps qu’elle n’a pas encore apprivoisé. Chloé a 16 ans, elle est en grandes vacances et ce soir, elle va boire des bières sur les quais avec sa copine. D’elle je n’ai entendu que ces quelques mots, comme un râle intime balancé l’air de rien pour le mettre à distance : « Mon père a refusé de me reconnaître à la naissance, il a dû se dire « il est vraiment trop moche ce bébé » ».
Il y a une légèreté feinte dans sa voix, une bouteille lancée à la mer et une montagne de complexes. Comment aimer ce corps dont on a détourné le regard? Comment survivre au rejet originel et se sentir désirée? J’aimerais lui dire que le physique ne fait pas tout, que le sien est parfait et que la beauté est ailleurs. Dans la liberté que l’on s’octroie et que l’on donne aux autres. Dans nos pulsions de vie, de joie et dans nos sourires. J’aimerais lui dire que les nouveaux nés se ressemblent tous un peu et qu’ils sont rarement « jolis », sauf dans les yeux de leurs parents. Parce qu’ils savent, eux mieux que personne, les relier à l’essentiel.
J’aimerais lui dire que l’essentiel est ailleurs, que le reste n’est que déroute d’une société qui ne se voit qu’en contemplant son propre reflet.