
Saïd a de beaux yeux clairs, bleu-verts comme le fond de la piscine de l’hôtel. Les piscines désignent ici les jolis bassins rectangulaires ou octogonaux qui trônent au milieu des cours intérieures. En Irgousistan, il y a pas de piscines dans les hôtels mais quelques rares bassins réservés aux femmes ou aux hommes selon les jours.
Saïd traîne au comptoir d’un petit café charmant, la madeleine de Proust des étrangers. Un lieu confiné mais accueillant où il fait bon s’arrêter pour un café corsé sur un air de Satie, avec en toile de fond de vieux indiens d’Amérique en noir et blanc. Saïd amorce une conversation musicale, l’accent chantant mais inexact, il égrène les noms de chanteurs français : Joe Dassin, Dalida… Entre deux écoutes, on lui conseille Brel, Gainsbourg et Maxime Leforestier.
Saïd n’a encore jamais voyagé en Europe. Il doit d’abord finir son service militaire de 21 mois, il en est presque à la moitié. En attendant il écrit des scénarios de films, des histoires imaginaires qui laissent son imagination courir, même si on y trouve toujours une part de réalité. Saïd tient compagnie à ses amis au café, et il travaille pour une entreprise qui prépare de gros gâteaux ronds et sucrés pour les grandes occasions. Il précise néanmoins qu’il ne confectionne pas les gâteaux, mais le savant mélange qui fait office de glaçage bleu, rouge, vert ou rose selon les goûts.