21/05/2016, Yasmina & Golshifteh

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Copyright : Tran Van Tho – TWO YOUNG WOMEN / Flickr

« Bonjour, est-ce-que je peux te prendre en photo? Je fais une thèse sur les touristes étrangers qui viennent seuls en Irgousistan. Je photographie leurs vêtements pour voir comment ils s’adaptent à nos règles ». Je suis arrivée hier soir seulement, mais je sais qu’il faudra vite m’y habituer. Le rapport à l’exotisme a muté de curseur – c’est l’occidental qui fait désormais office de bête étrange – et je trouve ça presque rafraîchissant. J’en profite pour poser quelques questions à Yasmina. Nous sommes dans les jardins d’un magnifique palais en plein cœur de la capitale, Minué. Les bâtiments alentours sont couverts de faïences élégantes et colorées, d’arabesques végétales, l’intérieur des palais capitule sous l’opulence des miroirs, le brillant des stucs, le clinquant des lustres.

Minué est une ville bourdonnante, encombrée de taxis, inondée de pollution. Alors quand Yasmina me propose de m’accompagner pour le reste de la journée, je saisis l’occasion au vol. Nous commençons par un tour dans l’immense bazar de la ville, département des sous vêtements : caleçons et slips, soutien-gorges profonds pour poitrines opulentes, modèles dentelés et sexys pour sirène céleste ou version chaste et enveloppante pour bégueules austères et préservées. Yasmina a besoin de nouveaux soutien-gorges adaptés à la chaleur qui enveloppe progressivement le pays. Assise sur un tabouret, j’oscille de la tête en fonction des propositions. Transaction expédiée – direction le métro bondé et le wagon réservé aux femmes. Les regards des femmes me décryptent. A destination, Golshifteh, la sœur de Yasmina, nous attend pour une virée dans les hauteurs de la ville. Golshifteh a 27 ans, elle parle un français approximatif car trop peu pratiqué. Elle étudie la littérature française et a séjourné six mois à l’université catholique de Lyon. Des mèches rebelles et colorées s’échappent de son voile qu’elle redresse régulièrement de ses mains vernies, l’une bleue, l’autre verte. Yasmina a 33 ans. Elle finit sa thèse et travaillait hier encore pour une agence de tourisme, son contrat vient de se terminer.

La proximité s’est créée sans coup férir, un regard entendu, une tape sur l’épaule et l’on se dévoilait comme de vieilles amies. Nous avons toutes trois lu et aimé « L’insoutenable légèreté de l’être » de Kundera, attendu Godot de Beckett. Puis à nouveau la voiture qui démarre, l’insertion forcée dans la circulation pléthorique, la musique traditionnelle mêlée aux derniers tubes du moment, les cheveux au vent, la querelle tendre de deux sœurs pour savoir où m’emmener. Ce sera un parc en pente, sillonné d’allées pavées, envahis de souvenirs d’enfance. Peu à peu on s’insère dans la végétation loin des sentiers battus, on remonte le cours de la source dans la fraîcheur des arbres altiers, le long d’un chemin de terre on fait halte à couvert sur un tapis. Quelques mètres plus haut, la source prend son envol dans une grande mare d’eau qui invite les pieds à la baignade, puis elle retrouve sa liberté le long des pentes caillouteuses formant de multiples alluvions. L’eau froide descend directement des montagnes, elle saisit instantanément les pieds fatigués, fidèles compagnons de voyage.

Les langues se délient autour de l’eau. Yasmina me dit qu’elle a un petit-ami, quoiqu’elle ne sait plus très bien. Elle pense qu’elle n’aura pas d’enfants. Les responsabilités sont trop grandes, il n’y a que lui après, on se perd, et puis c’est cher. Golshifteh, elle, se demande comment elle pourra dormir chez son petit-ami à l’insu de ses parents. Demain c’est fête religieuse – on célèbre le retour d’un sauveur – elles doivent célébrer ça chez des amis de leurs parents. Chez le petit-ami de Golshifteh il n’y aura personne, alors c’est le moment, cela arrive deux fois l’an et encore. Golshifteh sourit, tentée et malicieuse, mais ça reste risqué. La virginité des femmes ici est encore une affaire sacrée, l’affaire des hommes.

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