
On se retrouve de bon matin à la grande mosquée de Paris. C’est la première fois que je vois ma collègue Sarah en dehors du travail. Elle est passionnée de théologie musulmane et c’est aussi la personne avec laquelle j’ai le plus de liberté de parole au boulot. C’est l’occasion d’appréhender l’envers du décors d’un lieu que je ne connais que côté hammam et salon de thé.
La pluie nous empêche de nous attarder dans le jardin carrelé d’un vert lagon pourtant attirant. Direction le patio central recouvert d’une bâche et la salle de prières réservée aux hommes que l’on aperçoit depuis la porte. Puis on arrive dans une bibliothèque qui sent le cèdre. Les murs sont recouverts de vitrines en bois où l’on aperçoit des livres calligraphiés. Une table trône au milieu de la pièce, entourée de nobles fauteuils défraîchis à l’allure inconfortable mais impériale.
Sarah veut me montrer la salle de prières réservée aux femmes où elle se rend de temps en temps. Elle me prévient qu’il y a encore quelques efforts à faire. On traverse la partie bétonnée des jardins pour accéder à un escalier, puis à une salle en sous-sol, juste avant un garage.
Au moment de quitter les lieux, Sarah s’attarde devant une lourde porte en bois qu’elle repousse de la main. Si c’est pas fermé, c’est que c’est pas interdit. Quelques minutes dans une cage d’escalier sans éclairage et on débouche en haut du minaret. Vue à 360 degrés sur Paris et regard en perspective sur l’architecture des lieux.
Sarah porte un voile coloré à imprimé géométrique qui recouvre ses cheveux et encadre son visage. Je ne l’avais jamais vu porter le voile auparavant.
On en a un peu parlé pendant la visite, puis autour d’un thé à la menthe sucré. J’ai demandé à Sarah si elle portait son voile parce que nous allions à la mosquée. Elle m’a répondu qu’elle porte son voile tous les week-ends, dès qu’elle n’est pas au travail en fait. Sarah m’explique qu’elle a porté le voile pour la première fois quand elle vivait à Londres. Qu’elle en a eu envie parce que le regard des gens et la loi ne sont pas les mêmes qu’ici. Sa mère a un peu éructé au retour mais elle respecte son choix.
Sarah me dit qu’elle se sent encore plus elle-même quand elle porte son voile, même si elle ne sait pas totalement expliquer pourquoi. Elle n’envisage pas de le porter pour travailler parce qu’elle craint le regard que les autres pourraient porter sur elle. Parmi ses amies qui sont musulmanes, la plupart ne portent pas le voile parce qu’elles ne le souhaitent pas. Mais son amie qui bosse dans le secteur privé et qui a essayé s’est vite vue remettre dans la droite lignée.
Le portrait de Sarah est un instantané circonstancié. Il n’a pas vocation à être représentatif d’une généralité, mais il m’a donné à nouveau à réfléchir sur le discours dominant. Il m’a rappelé les propos d’Olivier Roy sur l’évolution dérangeante d’une laïcité qui, de légiférer sur la pratique des cultes, en vient à bannir totalement la religion de l’espace public.
Derrière chaque femme se cache une personnalité complexe et multiple. Derrière chaque femme voilée également.