
Heure d’affluence sur le quai du train, une foule compacte et dissonante pour un mardi fin de soirée. Les gens ont eu le temps de se serrer, de s’observer en chiens de faïence et même parfois de lancer des soupirs bruyants pour bien signifier que « y’en a marre de la RATP ».
Cette fois, c’est avarie matérielle à Gare de Lyon. De la ferraille donc. Hier, c’était le « blue monday », le jour le plus déprimant de l’année dit-on. Y a-t-il plus de suicidés le long des voies ferrées ce jour là? Les conducteurs se sont-ils levés lundi matin en se préparant à affronter le pire depuis leur cabine de conduite vitrée?
Un train arrive finalement. Ça m’épargne les cent et quelques pas le long du quai, une ascension à l’horizontale qui tourne en rond parce que j’ai du mal à supporter l’immobilité. Je suis presque seule à m’engouffrer dans le train. Les lumière clignotantes sur le plan de ligne disent qu’il repart en sens inverse : les portes restent ouvertes et les gens sur le quai.
Un homme entre et me dit que ça doit être une erreur, que le train va bien dans ma direction. « C’est parce que le train est arrivé en sens inverse, il a été affrété exprès à cause de l’avarie à Gare de Lyon. » Je le regarde un instant interloquée, avant de comprendre et de m’assoir en face de lui. On échange quelques mots polis sur nos destinations respectives. Puis je me plonge dans le bouquin de Modiano que je suis en train de finir et lui dans son magazine Télérama. On échange à nouveau quelques banalités sur les gens qui se sont faits avoir et qui sont partis en sens inverse à leur destination. Il a un regard bleu très franc, une casquette en laine grise, une écharpe rayée et un sac Printemps rose fushia rempli de magazines.